Interview tirée de NordLittoral (2012):
http://www.nordlittoral.fr/actualite/la_une/2010/12/04/article_katrina_kalda_ou_l_histoire_d_une_reussi.shtml
Née en 1980 en Estonie, Katrina Kalda est arrivée à Calais à l'âge de dix ans. Elle y a fait de brillantes études au lycée Sophie-Berthelot avant d'intégrer Normale Sup'.
Aujourd'hui agrégée de lettres modernes, elle enseigne en lycée et vient de publier son premier livre " Un roman estonien " chez Gallimard, salué par la critique littéraire.
Quand on a 10 ans, qu'on est née en Estonie et qu'on débarque à Calais en France avec sa soeur et sa mère pour s'y installer, quel regard porte-t-on sur cette " transhumance " à la fois géographique et culturelle ?
A l'époque, je crois que j'avais surtout été frappée par la différence de niveaux de vie entre l'Estonie et la France. Nous sommes arrivées à Calais à une époque où l'économie de l'Union soviétique finissait de péricliter. Les choses sont plus complexes maintenant. D'une certaine manière, l'Estonie est plus proche de la France
(économiquement, mais aussi parce que contrairement à l'époque où nous nous sommes installées en France, il est très simple d'écrire, de téléphoner, de se rendre en Estonie). D'un autre côté, plus les années passent, plus je me rends compte de la différence culturelle des deux pays, et aussi de mon attachement à mon pays natal. Les paysages de l'Estonie, son architecture (avec notamment une tradition de maisons en bois) sont bien différents de ceux de la France.
Quel a été ton parcours scolaire et professionnel ?
J'ai suivi l'essentiel de ma scolarité à Calais, ai préparé un bac littéraire au lycée Berthelot avant de partir étudier en classes préparatoires à Paris. J'ai ensuite eu la chance d'intégrer l'ENS Lyon (l'ancienne Fontenay Saint Cloud), ce qui a été une merveilleuse expérience de liberté d'apprentissage. A l'époque encore, il n'y avait pas d'évaluation à l'ENS, quasiment pas de cours obligatoires, on y incitait simplement les élèves à suivre un panel de cours de leur choix (ce qui pour un littéraire pouvait aller de la physique à la littérature, en passant par les langues, l'histoire de l'art, les techniques du cinéma, sans oublier les ateliers d'art dramatique). Le passage par l'ENS a aussi été l'occasion de rencontrer des personnes formidables, parmi les pédagogues comme parmi les élèves.
J'ai obtenu l'agrégation de lettres modernes en 2004 et suis partie enseigner une année à Prague avant de revenir et d'enchaîner sur une thèse, tout en travaillant à l'Université de Poitiers. Aujourd'hui, je poursuis ma thèse mais ai choisi d'enseigner en lycée pour des raisons familiales. Ensuite, pourquoi pas autre chose ? En Estonie, il est normal de changer plusieurs fois de métier dans sa vie et cette idée ne me déplaît pas.
Devenue aujourd'hui agrégée de lettres, te considères-tu comme un " produit " de la réussite de l'école et de l'intégration à la française ?
D'une certaine manière oui. Le système français m'a permis de faire des études qu'il ne m'aurait peut-être pas été possible de faire en Estonie. Il est vrai aussi qu'au cours de mes études, je me suis toujours sentie f rançaise, comme les autres, puisque je parlais la même langue et que je réussissais plutôt bien à l'école. En même temps, je mesure aujourd'hui combien l'éducation française est fondée sur le principe des concours qui sont là pour sélectionner, mais surtout pour éliminer. Je trouve parfois que le système français reste un peu trop cloisonné, que les parcours ont tendance à être écrits à l'avance.
Qu'as-tu pensé du débat sur l'identité nationale qui a agité notre pays et celui qui perdure sur l'immigration et les politiques d'intégration ?
Il me semble que c'est un débat qui a fait beaucoup de bruit mais qui n'a pas abouti à grand chose. Et puis j'ai l'impression qu'il s'agit là d'un débat national alors que le problème déborde largement la France. Il devrait être posé au moins au niveau européen. On voit mal comment résoudre la question de l'immigration dans un contexte où le monde est scindé entre des pays déshérités et d'autres qui apparaissent (parfois à tort) comme des pays de cocagne.
"Un roman estonien" est ton premier roman et pourtant on y sent déjà une grande maturité littéraire. Comment l'expliques-tu ?
Il s'agit en réalité du quatrième roman que je termine, et j'écris quotidiennement depuis une dizaine d'années. Les autres manuscrits sont restés dans mes tiroirs, je les considère comme des exercices.
L'idée de cette histoire qui se déroule en Estonie au moment de son indépendance est-elle pour toi un moyen d'éclairer le lecteur sur la situation actuelle de ce pays balte, sa difficulté à exister comme état et son accès difficile à la démocratie ?
Au départ, j'avais surtout envie d'un roman qui décrive les paysages estoniens, d'où la tonalité un peu nostalgique de certains passages. Ensuite, j'avais effectivement envie de confronter l'Estonie d'avant la chute du Mur à celle d'après l'indépendance, pour mettre en valeur notamment les changements économiques, culturels et politiques qui se sont alors produits de façon accélérée. L'idée d'un pays dont l'existence était fragile me plaisait également, d'un point de vue poétique plus que politique (même si cette idée repose bien sur l'histoire de l'Estonie qui n'a été indépendante qu'entre 1920 et 1940 puis après 1991. Même après cette date, la peur d'être " avalés " par le géant russe restait encore vive).
Ce travail sur la mémoire est-il à relier à un souci de comprendre le présent et d'imaginer un avenir, mais aussi à l'idée qu'on se souvient des choses non telles qu'elles sont, mais telles que nous sommes ?
Oui bien sûr, l'Estonie dépeinte dans le roman est largement imaginaire. Il s'agit d'une reconstruction fondée sur le souvenir que j'ai gardé de ce pays. Pour moi, ce livre a été l'occasion d'explorer des souvenirs d'enfance, de fouiller un peu la mythologie que les enfants créent à partir de leurs expériences propres. Le roman-feuilleton d'August, comme les commentaires de Théodore (son personnage) sont là pour rappeler le peu de réalité du monde qui est décrit, pour mettre en valeur le fait que toute réalité est en grande partie créée (ou recréée par ceux qui la vivent et la perçoivent).
L'une des originalités de ton roman est de poser la question de la relation entre le personnage et son créateur, entre fiction et réalité littéraire. Pourquoi cette mise en abyme et, à travers la superposition des détails et des descriptions, cette transfiguration du banal ?
Au départ se trouvait le choix de travailler sur le genre du roman-feuilleton. J'avais envie de me confronter à un genre très codifié, qui jouait sur les clichés. Mais précisément, le feuilleton transforme la réalité en clichés, il la dessine à gros traits. J'ai eu ensuite envie de contrebalancer cela en introduisant un "élément perturbateur". C'est Théodore, le personnage du feuilleton créé par August, qui a pour mission de toujours contredire, de complexifier le propos du feuilleton en rappelant qu'il est trop simpliste. "Un roman estonien" est aussi une réflexion sur les rapports de la littérature, de l'idéologie et du réel. L'idéologie, quelle qu'elle soit, repose toujours sur une simplification du réel. La vie est, elle, plus complexe, souvent imprévisible.
Dans ce qu'on imagine être un va- et- vient personnel et mémoriel entre Estonie et France, quel est pour toi le pays réel et le pays imaginaire ?
Aucun n'est ni tout à fait réel ni imaginaire. Je suis persuadée qu'on ne peut se sentir chez soi que dans un pays dont on a réinventé le paysage, un lieu où nous faisons l'expérience du réel, tout en ne cessant de le réécrire.
Un Roman Estonien de Katrina Kalda
Arithmétique des Dieux de Katrina Kalda
Le Pays Où Les Arbres N'ont Pas D'ombre de Katrina Kalda
2 commentaires > Laisser un commentaire :
Bonjour,
je cherche a contacté cette écrivaine auriez vous un mail ou je puisse lui écrire?
Bonjour, via son editeur peut etre (Gallimard)..
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